POETESAPARIS
a organisé en ALGERIE
à Azeffoun
(ex Port-gueydon)
en KABYLIE
en 2010
et 2011
LE FESTIVAL DES ARTS
ET DE LA CULTURE
(voir photos et vidéos)
NOUVELLE ODYSSÉE
EN TERRE DE KABYLIE
par Claudine Bertrand,
universitaire au Québec,
invitée du festival
Kabylie : capitale de la culture berbère est une plaque tournante et un véritable foyer d'artistes, où se déroulent expositions, colloques, débats, échanges. La richesse du patrimoine y est mise en valeur par tous les moyens et les supports médiatiques. Le coup d'envoi des festivités qui a fait de la Kabylie une vitrine du patrimoine national a eu lieu dans la ville côtière d'Azeffoun, Tizi Ouzou, qui a abrité du 14 au 17 septembre, le Festival des Arts et de la Poésie, mis en scène par Yvan Tetelbom et présidé par l'illustre Saïd Hilmi, auteur, comédien et réalisateur de nombreux films.
En maître d'oeuvre, Yvan Tetelbom, a rassemblé les forces vives de son pays dans un souci d'offrir une autre réalité à voir, à entendre, tout en impliquant les artistes locaux dans les lieux mêmes de leur création. Tout un exploit ! Non seulement, Monsieur Tetelbom surprend, par son audace, en allant toujours plus avant, mais aussi en remettant le pouvoir entre les mains des citoyens eux-mêmes. Il a constamment relayé aux responsables les décisions pour faire, a-t-il dit, de cet événement d'envergure internationale, leur festival. Jamais il n'a cherché à en tirer profit. Il force l'admiration. La délégation, composée de voix poétiques des trois continents: l'Europe, l'Amérique, l'Afrique, s'est réunie sous une même bannière pour se déployer sur plusieurs scènes. Mentionnons Yvan Tetelbom, Marie Robert, Dominique Ottavi, Vanina Michel (France), Monia Boulila (Tunésie), Mehri Sha Hosseini (Iran), Rocio Duran Barba (Equateur), Claudine Bertrand (Québec). Ce rassemblement a provoqué des rencontres avec plus de cinquante poètes kabyles et avec le public en vue d'établir le dialogue entre des cultures aussi riches que diversifiées que ce soit dans des cafés, des lycées ou sur des places publiques.
Azeffoun: une ville, un destin poétique. Nous allons de découverte en découverte. Les pierres à visage humain nous regardent. Dès que l'on foule le sol kabyle, une magie opère et ne cesse d'étendre son pouvoir, on est sous une forte emprise, envoûtés par le chant des sirènes ; la notion du temps semble s'estomper. Troublant, le mystère de l'univers s'infiltre en nous et nous ouvre à de nouvelles dimensions ! Une fresque nous fait signe et révèle une vérité à saisir. On a l'impression de boire à la source d'un grand secret qui attise nos sens. On est au carrefour du monde, pour toucher de près l'âme d'un peuple et se reconnecter à l'essentiel. Dans un élan d'enthousiasme, nous nous engageons, plus à fond, dans le labyrinthe kabyle avec sa route sinueuse: crêtes, ravins, cols, hameaux accrochés aux pentes. Nous sommes vite plongés au coeur du Vieux Azeffoun, façonné depuis des millénaires dont les racines sont encore très vives. Un peuple de poésie est un peuple qui ne meurt pas ! Des vestiges préhistoriques remontant aux Phéniciens sont encore visibles et témoignent d'un passé glorieux: des thermes, des silos à grains, des fondations, des murs, sans oublier l'immense puits qui nous entraîne dans un tourbillon de rêves. Une culture enfouie resurgit grâce au travail patient des archéologues. La mémoire de l'humanité s'affiche soudain. Ce lieu sacré dévoile beautés et fragilités. Se déroule sous nos yeux le fil de l'histoire. L'avenir du peuple est là depuis l'origine. Une double volonté l'anime: libérer cette parole et faire connaître la littérature et sa modernité, trop souvent occultée ou méconnue principalement en raison du silence des médias internationaux et de l'absence de relais. C'est là, à Ruzazus, dans des vestiges romains, que la poésie québécoise a élevé sa voix, pour retracer son parcours identitaire en écho à celui des kabyles.
Tous les événements sont ponctués d'une musique jouée par un troubadour des temps modernes: nul autre que Dominique Ottavi qui a sillonné les grandes scènes du monde. Cet auteur-compositeur qui porte haut et fort le verbe corse a réussi à faire vibrer son instrument de manière à offrir des accords qui s'harmonisent parfaitement à l'âme kabyle. L'un des moments percutants fut l'hommage rendu à Tahar Djaout, l'un des premiers intellectuels assassinés en 1993. Romancier, journaliste kabyle, défenseur de la laïcité, il devient le symbole de la revendication identitaire de la culture berbère et de la langue (tamazight). Figure légendaire, il a donné sa vie pour son peuple et celui-ci le lui rend bien. Après s'être recueilli sur sa tombe, le public est convié à un chant emblématique: «Tahar m'a dit», composé par Ottavi. Des sons se sont transformés dans le bleu du ciel grâce à une voix chargée d'émotion, celle du chanteur corse en résonance avec le paysage et la vallée parfumée de jasmin. À cet instant magique, on a senti la présence et le souffle de Djaout. Une brise a agité les feuilles et nous a fait frissonner.
Cette manifestation joignant parole et musique a permis de pacifier cette cérémonie remplie de gravité en jetant un baume sur la blessure d'un peuple, non encore refermée. Une lumière particulière s'est déposée sur nos épaules. Il n'y a plus aucun doute, Djaout habite dorénavant le ciel, les étoiles, le cosmos. La musique corse reflétait cette intensité et nous transportait vers un ailleurs indéfinissable. Le rythme, soutenu par Ottavi, déferlait comme vague de chaleur et de fraternité. Sa voix créait un lien entre les participants, s'accompagnant d'une musique venue du fond des âges à faire tomber des murs que nous érigeons ! Une nouvelle page d'histoire s'est écrite ce jour-là.