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Yvan Tetelbom et les exils — entretien avec l’auteur

(Une inquiétude juive)

Rien ne pré­dis­po­sait Yvan Tetel­bom à la lit­té­ra­ture. Il reste sans doute ce que beau­coup consi­dèrent comme un idéa­liste. Mais son der­nier livre arrive au bon moment — du moins si l’on peut dire. L’auteur par­tage son expé­rience de l’antisémitisme. Il évoque les situa­tions dif­fi­ciles qu’il a ren­con­trées en rai­son de son iden­tité juive, tant dans sa vie per­son­nelle que pro­fes­sion­nelle. Cela l’amène a pro­po­ser une réflexion pro­fonde sur cette haine per­sis­tante dans la société depuis des siècles et mal­gré les hor­reurs de la Shoah qu’une pen­sée d’extrême gauche tend désor­mais à négli­ger. Cela rap­pelle au pas­sage que, s’il y eut Hit­ler d’un côté, Sta­line n’était guère éloi­gné de lui.

D’ Yvan Tetel­bom, Une inquié­tude juive, Lys Bleu Édi­tions, 2023, 132 p. — 15,30 €.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Écrire. De 4h du matin à 7h. c’est immuable.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Mes rêves n’étaient pas encore per­cep­tibles dans mon enfance en Algé­rie, faute à la guerre (1954–1962). Ils se des­si­naient à peine dans l’invisible. Puis ils se sont déga­gés à l’adolescence du voile qui les recou­vrait comme pour mieux les pro­té­ger. Il a suffi d’un spec­tacle au théâtre d’Orléans, à mon arri­vée en France, j’avais 15 ans, de Jean Marc Tenn­berg, disant magis­tra­le­ment des poèmes du réper­toire fran­çais, « façon Luc­chini » pour scel­ler mon appar­te­nance au monde de la POÉSIE. Mon des­tin était, dès lors, tracé : Je serai poète et en vivrai.

À quoi avez-vous renoncé ?
J’ai renoncé à une vie maté­rielle qui m’aurait per­mis de vivre sans souci.

D’où venez-vous ?
Je suis né en Kaby­lie, d’une famille juive ash­ké­naze, qui avait fui les pogroms d’Ukraine et Bié­lo­russe et d’une famille juive autoch­tone implan­tée dans le pays depuis des géné­ra­tions. J’ai été élevé dans la tra­di­tion juive. Puis pro­gres­si­ve­ment, à mon arri­vée en France, je me suis déta­ché des dogmes avec leur cor­tège de pra­tiques vieillottes.

Qu’avez-vous reçu en “héri­tage” ?
J’ai reçu en héri­tage tout un poten­tiel d’endurance, de cou­rage, de déter­mi­na­tion, d’imaginaire, dans lequel j’ai puisé à volonté, sans m’en rendre compte, pour idéa­li­ser mon che­min qui m’emmenait tout droit vers mon destin.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Prendre un café dans un bar, feuille­ter le jour­nal du jour, lais­ser venir à moi, des mots, des idées, mode médi­ta­tion, suf­fit à mon bonheur.

Com­ment êtes-vous venu à l’écriture et quel poids repré­sente le passé dans votre oeuvre ?
Je n’ai pas écrit tout de suite. Ma pen­sée, seule, construi­sait des idées, qui se trans­for­maient en mots et phrases, que je pro­je­tais dans mon ima­gi­naire, sans les écrire sur papier. Elles venaient nour­rir un lan­gage qui allait s’étoffer de plus en plus. C’est plus tard que j’ai com­mencé à écrire vraiment.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
C’est une scène vio­lente. Ça se passe à Port-Gueydon, appel­la­tion fran­çaise de mon vil­lage kabyle, situé dans la wilaya de Tizi – Ouzou. Aujourd’hui Azef­foun. Nous sommes en 1954. J’ai 7 ans. Je regarde la mer. Sou­dain, depuis l’horizon, s’échappe une colonne de fumée. Les gens crient autour de moi : c’est la guerre, c’est la guerre ! Je prends conscience que la vie n’est pas éternelle.

Et votre pre­mière lec­ture ?
Ça reste encore flou dans ma tête. Il y a juste un livre dont je ne me sou­viens, pas du titre, et qui racon­tait la vie simple d’un enfant issu de famille modeste, qui rêvait de deve­nir cham­pion d’athlétisme sur 400 mètres, je crois, et qui à force d’efforts, de volonté, est par­venu au som­met de son ambi­tion, devant un entou­rage médusé qui n’avait jamais cru en lui. Mais ma pre­mière vraie lec­ture, consciente, se déroula durant mes pre­mières années au col­lège, : “L’Idiot” de Dos­toïevski. Puis “La méta­mor­phose” de Kafka.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Les suites de Bach pour vio­lon­celle seul.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Je ne relis jamais un livre que j’ai déjà lu.

Quel film vous fait pleu­rer ?
Tous les films qui racontent l’amour dont l’histoire se ter­mine bien ou mal. Celui dont je me sou­viens le plus est “Mou­rir d’aimer”. C’est l’histoire vraie et tra­gique de Gabrielle Rus­sier qui s’était sui­ci­dée en atten­dant son juge­ment en appel à la suite de sa liai­son avec un jeune élève.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Quelqu’un d’autre que moi. Un être qui n’existe pas phy­si­que­ment, et qui m’encombre. Peut-être parce que je n’ai jamais réussi à m’incarner sur Terre.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Per­sonne ne me vient à l’esprit.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
PARIS : ma ville de cœur. Je ne m‘en lasse jamais. Besoin sans cesse d’y aller. J’aime mar­cher dans les rues de la capi­tale, durant des heures, sen­tir l’âme des poètes qui y ont vécu, écrit, comme Gérard de Ner­val, Paul Ver­laine, Paul Fort, Max Jacob, Guillaume Apollinaire…

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
J’aime par­ti­cu­liè­re­ment Patrick Modiano dont j’achète régu­liè­re­ment les romans. Je suis un incon­di­tion­nel de sa lit­té­ra­ture. J’aime la nos­tal­gie qui s’en dégage et pro­mène mon imaginaire.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Juste des mots d’amour de la femme que j’aime. Rien d’autre.

Que défendez-vous ?
LA LIBERTÉ

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas” ?
Je n’aime pas cette phrase. Elle ne m’inspire pas. Je ne la com­prends pas. Peut– être a-t-elle une signi­fi­ca­tion pro­fonde mais moi je ne vois rien. Si on n’éprouve aucun sen­ti­ment pour l’autre, on passe son che­min. Sur­tout si l’autre n’en veut pas. On ne perd pas son temps. Et si on éprouve un sen­ti­ment, vis-à-vis d’une per­sonne qui ne nous aime pas, on ne perd pas son temps, de la même façon. On n’insiste pas.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Nul doute qu’il l’a dite par réflexe, sans l’avoir com­prise. Pour preuve, il rede­mande quelle était la ques­tion. Chez les juifs on répond tou­jours à une ques­tion par une autre question.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
La France est-elle anti­sé­mite ? Ou juste raciste ? ou les deux. J’ai tenté d’y répondre dans mon livre Une inquié­tude juive.

 

Entre­tien et pré­sen­ta­tion réa­li­sés par jean-paul gavard-perret, pour lelitteraire.com, le 3 novembre 2023.

ALLIANCE le 1er magazine juif sur le net
Yvan Tetelbom et le livre nécessaire

Sous l'incipit de Franz Fanon ""Quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez l’oreille, on parle de vous.", Yvan Telelbom remet les montres à l'heure dans les dérèglements actuels. Reprenant son histoire en guise de support, l'auteur élargit sa propre biographie à ce qui est arrivé dans l'histoire des juifs et ce qui arrive encore.

Approché par l'organisation juive, le "Bn’ai B’Brith", loge René Cassin d’AntibesJuans-Les pins, il a proposé une conférence autour du sentiment d’inquiétude que ressent aujourd’hui, la  communauté juive, en France, et dans le monde, en tenant compte de la période où les Juifs vécurent en Algérie avant et pendant la colonisation française.

Le "B’nai B’rith" (Fils de l’Alliance)  est la plus ancienne et la plus importante organisation  humanitaire juive au monde. Elle fut fondée en 1843, à New York pour créer un système  d’entraide pour les Juifs. Cette organisation, s'es étendue dans le monde entier.

L’Amour fraternel, la Bienfaisance et l’Harmonie sont à la fois la  devise et les valeurs fondamentales de cet ordre conçu pour la défense des droits de l’homme, la lutte contre les haines, et l’antisémitisme, la promotion des cultures juives, le travail de mémoire, la solidarité et le soutien à l’État d’Israël.

L’antisémitisme est donc au centre de ce livre où l'auteur cherche à  comprendre intellectuellement le mécanisme et ses ressorts depuis les  origines. Il a retrouvé ainsi son âme juive dont dit-il "je m’en étais éloigné, tant  ses pratiques m’apparaissaient au fil du temps, vieillottes et pour le moins dogmatiques."

Tetelbom rappelle dans ce livre les divers sources de l'antisémitisme. Le religieux  qui considère les Juifs comme les responsables de la mort de Jésus et sont devenus les boucs émissaires. Le racial qui considère les Juifs comme étant une  race inférieure et qui peut s’accompagner de théories du complot. Le politique  lié à des mouvements d’extrême droite ou  de gauche  qui peuvent utiliser l’antisémitisme pour justifier la xénophobie et la discrimination, En enfin l'islamiste qui  se répand en France avec notamment,« nouvel antisémitisme ». Celui-là est plutôt repris par ce qu’on appelle l’islamo-gauchisme (la défense des musulmans contre la politique d’Israël).

Ce livre fait de témoignages (Daniel Mesguisch et bien d'autres), de rencontres et de recherches est remarquables car il fait le tour de ce que Sartre appelait la "question juive" - terme d'ailleurs discutable car c'est déjà induire que les juifs seraient un problème). Et de fait il montre la profondeur d'un peuple d'exils  dont le seul "tort" et de croire aux valeurs premières. Tetelbom le rappelle sans jamais jouer face aux poncifs antisémites jouer sur les émotions mais plus sur la raison. Ce livre contribue à une forme d'apaisement interculturel au moment où le monde en manque tant qu'il court peut-être à sa perdition.
 
Jean-Paul Gavard-Perret,
Yvan Telelbom, "Une inquiétude juive",  Lys Bleu Éditions, 2023, 132 p., 15,30 E..
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